Charlotte, l’apicultrice du Finistère

par | Oct 20, 2023 | Portrait producteur | 0 commentaires

Nous nous trouvons à l’extrême ouest de la Bretagne, à l’endroit où commence l’immensité de l’océan, avant de tomber sur le continent américain. C’est sur la côte nord Finistérienne, à un jet de pierre de l’île d’Ouessant, que Charlotte Lossec élève des abeilles, dans le respect de la nature et des cycles.

Sa vision de l’apiculture sort du cadre commun. Miel de thym ou miel de châtaigne ? Chez Charlotte, vous auriez cherché en vain du miel monofloral. Elle préfère explorer les saveurs du terroir en proposant des miels polyfloraux qui reflètent l’identité végétale de chaque territoire. Ses miels sont délicats, parfaitement travaillés et avec une large palette de saveurs.

Comment s’est-elle lancée dans l’apiculture ? Quelle est sa relation avec la nature et sa vision du métier ? Avec Charlotte nous avons longuement échangé sur son parcours, sur la place de la femme dans l’apiculture, sur les obstacles du métier et sur ses projets à venir.

Découvrez le portrait de Charlotte, l’apicultrice du Finistère.

Bonne lecture !

Charlotte apicultrice bretonne

📸 Hugues Charrier

Charlotte marque les esprits. Quiconque l’a déjà rencontré, a été frappé par sa chevelure foncée, épaisse et interminable, avant de tomber sous le charme de sa personnalité. N’ayant pas encore fêté ses 30 ans, elle a pourtant fêté la première année de son activité apicole.

J’ai rencontré Charlotte lors d’une expérience professionnelle il y a 5 ans, quand l’apiculture entre dans sa vie, sans pour autant prendre une place sérieuse dans son esprit. Douce, authentique, naturelle et profondément engagée, déjà au bureau elle semblait être aux antipodes du comportement traditionnellement observé. Gérer une équipe, obtenir une promotion importante ou apprendre les règles des jeux de pouvoir – tout cela ne l’intéressait pas. En revanche, son combat quotidien reflétait ses valeurs profondes : réduire l’impact carbone dans toutes les actions de son département.

Quelques années plus tard, quand elle m’a parlé de sa reconversion, je n’étais pas surprise. Au contraire, je sentais chez elle un alignement entre sa vie professionnelle et sa vision du monde au sens large. L’enfant du Finistère, elle s’estimait toujours plus proche de la nature que de la vie cosmopolite. Son retour aux sources était plus qu’évident.

Se faire sa place quand on n’est pas du milieu

Intéressée depuis toujours par l’environnement, la biodiversité et le cycle naturel, Charlotte a trouvé dans les abeilles la clé d’entrée pour réaliser sa reconversion professionnelle. Après avoir lu tous les ouvrages sur l’apiculture et inspecté de près les ruches installées par sa mère, elle décide de passer à la vitesse supérieure. Quitter le travail où elle ne trouvait plus de sens, quitter la capitale qui l’étouffait, prendre le large pour se former sérieusement. Elle a réussi à intégrer le programme Women for Bees, en partenariat entre Guerlain et UNESCO, en collaboration avec l’Observatoire Français d’Apidologie. C’était une première belle opportunité qui lui a permis de passer 1 mois sur les ruches et de découvrir ce monde fascinant. Par la suite, elle a effectué une formation agricole d’un an avant de pouvoir monter son activité d’apicultrice.

Vous vous en doutez bien, tout n’était pas rose. N’ayant pas de parents apiculteurs, ni agriculteurs, elle s’est plongée toute seule dans le milieu agricole, où les métiers se perpétuent grâce au pouvoir de transmission au sein des familles. Avec sa posture humble et ouverte, elle a été très bien accueillie malgré son manque d’expérience et de réseau. « En même temps, les apiculteurs disent que même au bout de 30 ans de métier ils en apprennent tous les jours car l’environnement change constamment. »

charlotte lossec apicultrice

📸 Charlotte Lossec

L’apiculture n’échappe malheureusement pas aux préjugés sexistes qui perdurent dans le milieu agricole. Du fait de son caractère physique, le métier d’apiculteur est souvent attribué aux hommes. Charlotte, lasse, doit sans cesse répondre qu’elle ne fait pas ce métier avec son compagnon, mais bien toute seule. Elle doit également répéter qu’elle ne se spécialise pas dans la gelée royale (l’élevage de reines en vue de la production de gelée royale), même si cette pratique minutieuse est relativement moins physique, donc soi-disant privilégiée par les femmes. Or, comme le souligne Charlotte, les apicultrices ont choisi leur métier malgré son aspect physique qui est bien présent notamment lors des récoltes. Elles ont réussi à trouver mille astuces pour atténuer la difficulté de certaines tâches et ainsi préserver leurs corps. Il ne faut pas croire que la pénibilité du métier concerne uniquement les femmes. Les hommes ont également tout intérêt à trouver des moyens habiles d’exécuter certaines manœuvres sans épuiser leurs corps. Ainsi, la question du genre ne devrait même plus se poser.

Charlotte est un type de personne qui ne fait pas les choses à moitié. Elle sait que la clé du succès réside dans la préparation minutieuse. Mais quand on parle d’agriculture, d’autres facteurs, beaucoup moins prévisibles, entrent en jeu.

« Même si j’ai anticipé au maximum, ça reste de l’agriculture, c’est le travail du vivant. On peut vouloir tout anticiper et au final ne rien pouvoir anticiper car d’une année à l’autre on peut perdre la moitié du cheptel, sa capacité à produire. (…) Mais quelque part c’est aussi ça le jeu de travailler avec la nature. Oui, on ne maîtrise pas tout, mais c’est ça qui est beau aussi, il n’y a pas quelque chose qui est tout tracé, il n’y a pas une bonne réponse à chaque action. Dans une ruche il n’y a pas “c’est comme ci et comme ça”. Non, ce sont toujours des cas particuliers, on est toujours obligé de faire au cas par cas et au mieux, parce qu’il peut y avoir 36 réponses à la situation face à laquelle on est. 36 apiculteurs donneront une réponse différente. »

Cette disparité d’approches face à une situation est également liée à la vision que chaque apiculteur a du métier. Au sein même de l’apiculture, il y a beaucoup de divergences. Il y a mille manières de faire de l’apiculture, allant de la pratique intensive à l’apiculture sans aucune intervention de l’homme. Pour Charlotte, le choix est clair : l’apiculture doit avant tout respecter l’abeille. « Je ne vois pas comment on peut de toute façon être dans une pratique agricole qui ne respecte pas le vivant. Pour moi, on respecte avant tout la terre, on respecte l’environnement, on respecte l’élevage. »

Redonner au miel la place qu’il mérite

Elle est constamment à l’écoute des abeilles et de la météo pour connaître le développement de la ruche et savoir à quel moment intervenir. Même si le lien entre l’apiculture et la nature est évident, l’apiculture reste un métier d’élevage qui doit subvenir aux besoins de l’apiculteur. C’est pourquoi Charlotte essaie de trouver ce subtil équilibre entre le “laisser-faire” et l’intervention. Pour cela, elle a quelques astuces : ne pas avoir trop d’abeilles au même endroit et trouver des endroits avec suffisamment de ressources variées, ce qui ne nécessite pas de transhumer (déplacer les ruches d’un endroit à l’autre). De cette manière, elle limite son intervention au strict nécessaire.

Charlotte a fait le choix plutôt inhabituel de produire du miel uniquement polyfloral, lié au microterritoire où sont placées ses ruches. Elle utilise le principe de crus témoignant de la zone de butinage de ses abeilles. Vous allez par exemple trouver dans sa gamme du miel de Landunvez (une petite commune de 1500 âmes) Cru de Kersaint, car les abeilles butinent sur les terres de Landunvez à deux pas de la chapelle de Kersaint.

Le miel ainsi récolté est révélateur de la flore environnante, comme les abeilles butinent à seulement 3 km autour de la ruche. La flore qui environne le rucher (l’endroit avec plusieurs ruches) va caractériser le miel, lui donner son goût, sa couleur et sa cristallisation. À seulement quelques kilomètres plus loin, le miel n’aura plus les mêmes propriétés organoleptiques, car la flore qui entoure le rucher est différente.

miel de porspoder

📸 Charlotte Lossec

De même, le miel de printemps n’aura pas les mêmes propriétés que le miel d’été, bien que les abeilles aient butiné au même endroit. La présence des fleurs comme le colza rend le miel de printemps plus clair que le miel d’été, dont la couleur est souvent le résultat des châtaigniers ou de la ronce. Cela change également d’une année à l’autre. Les consommateurs peuvent donc suivre l’évolution de la flore autour de chez eux grâce à la dégustation du miel qui va évoluer au fil du temps.

Pouvoir repérer les fleurs dans chaque pot de miel par une simple dégustation n’est pas une chose aisée, même pour les palais les plus fins. Certaines fleurs sont plus évidentes à reconnaître que d’autres, comme le châtaignier ou le sarrasin. Charlotte a donc décidé de faire des analyses polliniques pour ses différents miels. Ainsi, ses clients comprennent plus facilement pourquoi leur miel a tel goût ou telle couleur.

Permettre aux gens de déguster du miel récolté au plus près de chez eux et leur faire découvrir la végétation qui les entoure – telle est la mission de Charlotte.

Pour goûter son miel, il vous faudrait visiter le Finistère. Elle distribue ses miels uniquement dans des épiceries fines locales, dans un périmètre restreint : l’épicerie la plus éloignée se trouve à 30 km de chez elle. Les clients peuvent également acheter du miel directement chez elle ou à certains marchés où elle est présente. À l’évocation d’un e-shop elle a bien ri ! « L’idée c’est que le consommateur soit au plus proche de là où l’abeille a butiné. Même Rennes c’est trop loin ! »

Elle ne met pas l’accent sur les vertus de différents types de miel, comme c’est souvent le cas des miels monofloraux. Au contraire, sa démarche permet de mettre en avant le miel en tant que produit de la nature qui a beaucoup de vertus, peu importe la présence de telle ou telle fleur. Elle sensibilise sur le changement de l’environnement, la biodiversité et le travail des abeilles et de l’apiculteur.

📸 Charlotte Lossec

Sauver les abeilles, c’est sauver l’humanité

À l’avenir, elle souhaite accueillir des personnes sur ses ruches, expliquer le travail des abeilles et même intervenir dans des entreprises pour sensibiliser sur l’importance des abeilles dans nos écosystèmes. Avec une mortalité de 30% par an sur les colonies d’abeilles, il y a de quoi sensibiliser.

« « Tu es bien courageuse de te lancer maintenant ! » me disait l’apiculteur avec 30 ans de métier chez qui j’étais en stage l’année dernière. »

Les problèmes de fécondité, les insectes invasifs et les maladies qui n’étaient pas présentes auparavant… Ce sont les résultats du dérèglement climatique et de la pollution de l’environnement liés aux activités humaines. Ces défis environnementaux ont un réel impact sur le rendement des ruches qui ne cesse de baisser depuis des années.

À cela s’ajoute la commercialisation des miels à des prix dérisoires dont l’origine et le mode de fabrication restent opaques. Souvent, les plus grands acteurs du marché utilisent des mélanges de miels importés pour harmoniser le goût et la texture. Ce miel standardisé a pénétré les foyers français grâce à son prix très attractif, sa couleur uniforme et sa texture liquide. Les miels artisanaux français au prix bien plus élevé se trouvent désavantagés par rapport à cette concurrence étrangère.

Selon Charlotte, les consommateurs ont perdu la notion de ce que c’est le miel. Nombreux sont ses clients qui découvrent que la couleur du miel évolue avec le temps et que la cristallisation du miel n’est pas un défaut, mais un processus naturel. Le défi des apiculteurs d’aujourd’hui est de déconstruire les mythes autour du miel et de faire comprendre aux consommateurs ce qui se cache derrière un pot. Les miels dénaturés aux prix compétitifs dans les supermarchés ne leur facilitent pas le travail, mais tout n’est pas perdu. Les personnes engagées comme Charlotte sont là pour faire bouger les lignes et nous ramener à la consommation responsable.

Pour découvrir la démarche de Charlotte et sa gamme de miels, jetez un œil sur son joli site internet. Pour la rencontrer et pour acheter son délicieux miel, rendez-vous dans le Finistère !

Charlotte Lossec
L’abeille de la mer d’Iroise
7 Chem. de Ty Ruz, 29840 Porspoder
06 28 36 59 79
Site internet

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