La quête du véritable paprika

par | Jan 27, 2023 | Food | 0 commentaires

À chaque fois que je rentre de Slovaquie (mon pays natal), je trimbale avec moi une énorme valise remplie de condiments faits maison, de miel, de confitures, mais surtout de paprika, cette épice sacrée en Europe centrale.

 

À la quête du vrai paprika

 

L’idée de cet article m’est venue quand je transposais les deux variétés de paprika doux (hongrois et slovaque) dans des petits bocaux en verre. Un arôme gourmand de poivron rouge a pénétré mes narines. Par curiosité, j’ai sorti du placard le paprika doux d’un des plus grands producteurs français, acheté dans un supermarché du coin, pour comparer les arômes. J’ôte le capuchon, j’inspire, et… Et j’arrête le suspense, car il n’y avait rien à comparer. J’ai senti une odeur sans saveur, difficile à décrire, mais ce n’était pas du paprika. Au nez, aucune trace de poivron rouge, ce qui est très étrange, sachant qu’il s’agit de l’ingrédient unique du paprika.

Pour résoudre ce mystère, mon premier réflexe est de regarder l’étiquette. Alors là, pas de chance, aucune information sur l’origine ou la méthode de fabrication du paprika. Il est juste manufacturé en France. Je teste donc le paprika d’un autre grand producteur d’épices en France (il ne faut pas tirer des conclusions à partir d’un seul essai, me dis-je). Le résultat est la même odeur sans saveur.

Je décide alors de mener une quête au vrai paprika de qualité. À ma surprise, ce n’est pas si facile que ça. En France, c’est même un véritable parcours du combattant.

Mais avant de trouver nos perles rares, une petite définition s’impose.

 

Les origines du paprika

 

Le paprika est une épice obtenue à partir de différentes variétés de poivron rouge qui fait partie de la famille des piments doux appartenant à l’espèce Capsicum Annuum (vous me suivez ?). Le poivron rouge est en réalité un piment doux, pour faire simple. Les fruits du poivron rouge sont récoltés à maturité en été. Ils sont ensuite séchés et broyés à la meule jusqu’à l’obtention de la poudre. Les méthodes de séchage et de broyage diffèrent selon la variété du paprika, mais nous allons en parler plus tard.

Quant au goût du piquant, parfois présent, il est dû à la présence plus ou moins importante de capsaïcine, un composé moléculaire présent notamment dans les graines.

Selon les fouilles archéologiques, le berceau du piment serait au Mexique, où il aurait été consommé déjà 7000 ans avant J.-C. Il est apparu sur le continent européen dans les valises de Christophe Colomb.

 

Le pimentón d’Espagne 🇪🇸

 

Ainsi, le piment doux gagna le sol espagnol. Grâce aux conditions climatiques favorables, sa culture s’est très bien développée, notamment dans les régions de Murcia et de la Vera. Les moines espagnols ont appris à le sécher et à le broyer pour produire l’épice que l’on connaît – el pimentón. Vous avez remarqué que je n’ai pas utilisé le mot paprika car en Espagne on utilise uniquement le mot pimentón. Le pimentón est indissociable de la cuisine espagnole et on le retrouve par exemple dans le chorizo, la paella, le poulpe a feira, les moules à l’escabèche ou les pommes de terre à la riojana.

Aujourd’hui, l’Espagne bénéficie de trois pimentóns AOP (Appellation d’Origine Protégée) dont nous allons parler maintenant.

 

Pimentón de la Vera AOP

Il s’agit du pimentón le plus connu (et le plus facilement trouvable en France) avec son odeur de fumée, très reconnaissable. Il est produit à partir de quatre variétés de piment doux cultivées dans la région de la Vera. Après la récolte manuelle à maturité, les piments sèchent pendant deux semaines dans des fumoirs au feu de bois de chêne, où ils développent les arômes de fumée. Ils sont ensuite broyés artisanalement à la meule de pierre. Le pimentón ainsi obtenu est d’une couleur rouge vive, presque foncée. Son parfum envoûtant de fumée restera dans votre mémoire ! Dans l’AOP il existe 3 variétés de Pimentón de la Vera: doux, aigre-doux et piquant.

 

Pimentón de Murcia AOP

Il est obtenu à partir d’une seule variété de piment doux – “Bola”, parfois appelée ñora. Après la récolte, les piments sont séchés au soleil ou dans les séchoirs, selon les méthodes traditionnelles. L’épice est d’une belle couleur rouge brillante, avec une odeur fraîche de piment. À la bouche, il est doux et savoureux.

 

Pimentón de Mallorca AOP

Ce pimentón de couleur rouge orangée est obtenu à partir d’une seule variété autochtone de piment doux – “tap de cortí”. Son goût est très doux, sans amertume et sans piquant. Si vous planifiez vos prochaines vacances à Mallorca, je suis preneuse de ce petit souvenir que je rêve de goûter 🙂

Le paprika de Hongrie 🇭🇺

 

Passons maintenant en Europe centrale, et plus particulièrement en Hongrie, où le paprika a été introduit au 16e siècle avec l’invasion de l’Empire Ottoman. Différentes variétés de piment doux ont été cultivées dans la région de Szeged, puis dans la région de Kalocsa. Les conditions climatiques étant exceptionnelles pour sa cultivation et son séchage, le paprika a vite remplacé le poivre pour devenir l’épice des pauvres. Aujourd’hui, le paprika est l’épice nationale de la Hongrie et figure comme l’ingrédient principal des plats locaux comme le goulash, le pörkölt ou le paprikás. D’ailleurs, une recette de pörkölt de ma grand-mère vous attend ici 🙂

La Hongrie bénéficie donc de deux AOP:

Kalocsai fűszerpaprika-őrlemény AOP

Il fait partie de mes deux paprikas préférés ! Dix-sept variétés de piment de Kalocsa peuvent être utilisées pour produire ce paprika. Sa couleur est d’un rouge sombre. À l’ouverture, son arôme vous marquera à jamais ! Vous allez sentir un agréable parfum de poivron rouge grillé, très doux. Je vous assure, c’est une expérience incroyable. Selon la teneur en capsaïcine, le Kalocsai paprika peut être modérément âcre, âcre et piquant.

 

Szegedi paprika AOP

Il a un parfum très proche de Kalocsai paprika, le parfum intense de poivron rouge grillé. Dix-huit variétés de piment de Szeged peuvent être utilisées pour élaborer le Szegedi paprika. L’épice a une couleur rouge vive et des arômes intenses de légumes cuits. Il peut être modérément âcre ou âcre.

Dans ma famille, nous utilisons le paprika hongrois (de Kalocsa) pour faire également de la charcuterie. Je peux vous dire que c’est un délice !

 

Le paprika de Slovaquie 🇸🇰

L’influence hongroise a également pénétré la région slovaque où les cultivateurs ont mis au point leurs propres variétés de piment doux (à partir de celles de la Hongrie). Le résultat est une AOP Paprika Žitava de couleur légèrement plus claire et d’un parfum encore plus rond et sucré. C’est de loin mon paprika favori !

Le paprika de Serbie 🇷🇸

Pour finir ce petit dossier sur le paprika, on va partir en Serbie où l’influence hongroise s’est aussi répandue. Ce pays n’a certes pas de paprika avec un label AOP, mais il ne reste pas moins bon ! Les immigrés hongrois ont commencé la culture du piment doux dans la région de Voïvodine et cela donne des résultats excellents.

Petite curiosité – le village de Donja Lokošnica au sud de la Serbie vit entièrement au rythme du poivron et de la production du paprika. Dans ce petit village, 250 ménages sur 280 cultivent des poivrons rouges d’une variété locale, selon les traditions secrètes transmises de génération en génération. Chaque début d’automne, le village entier est décoré de guirlandes de poivrons rouges qui sèchent au soleil. Un article très complet et intéressant se trouve ici.

Le véritable paprika en France

 

Revenons à ma quête du paprika de qualité en France. Comme je disais, ce n’était pas une affaire simple. J’ai passé des jours à parcourir toutes les épiceries possibles de Marseille à la recherche des pimentóns espagnols et des paprikas hongrois. Dans la plupart des cas, même sur les marchés et dans les épiceries étrangères, l’origine du paprika n’est jamais précisé. Au mieux, nous avons le droit au “paprika doux de Hongrie” et “paprika doux d’Espagne”. La seule AOP facilement accessible est le Pimentón de la Vera que j’ai même trouvé dans les grandes surfaces.

J’ai quand-même réussi à trouver quelques sites (et quelques marques) qui les distribuent en France. Je vous partage les liens:

 

 

Les prix piquent un peu, donc je peux vous conseiller qu’une chose. Si vous avez prochainement un EVG / EVJF à Budapest, pensez (entre deux verres d’eau-de-vie) à ramener du paprika, le vrai du vrai, bien certifié. Il est sur tous les coins de la rue et coûte vraiment rien. Ce goût en vaut la peine.

Sources:

Dupuis-Gaulier, S. (2019). Piment. Hachette Pratique.

Farrimond, S. (2021). Les Épices – Conseils d’experts. Dorling Kindersley.

Vučković, B. (2015, novembre). Serbie : Donja Lokošnica, le village où le poivron est roi. Le Courrier des Balkans.

Journal officiel de l’Union européenne (descriptions des AOP)

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