Le soleil bat son plein, la mer est calme, les parasols jaunes sont sortis, c’est l’heure du pastis !
Pastis, pastaga, ricard, petit jaune … Autant de noms pour cette boisson anisée, symbole de la vie tranquille sur le terrain de pétanque et sous le soleil du Sud.
Mais connaissez-vous l’histoire de ce breuvage marseillais ? Au fait, est-il vraiment d’origine marseillaise ?
Pour retracer les origines du pastis, il faut se pencher sur son grand frère, l’absinthe. Dans les deux cas, la famille Pernod y a été bien impliquée !
La « fée verte » descend des montagnes
Revenons quelques siècles en arrière dans les montagnes du Jura en Suisse, à Val-de-Travers, où l’absinthe trouve ses origines.
C’est dans ces montagnes où les boissons faites maison à base de feuilles d’absinthe et de l’anis sont très répandues depuis le 18e siècle. Sentant un potentiel commercial, un certain Henri-Louis Pernod participe en 1798 à l’ouverture de la première distillerie d’absinthe au monde, à Couvet, en Suisse.
Très tôt, il prend ses distances avec son associé et fonde la société Pernod Fils qui ouvre en 1805 à Pontarlier la première distillerie d’absinthe en France. La fameuse « fée verte » est née.
Et elle gagne rapidement les cœurs (et les foies) de la bourgeoisie française ainsi que du cercle artistique. Jusqu’à ce qu’elle soit accusée de tous les vices du monde et interdite en 1915 (et avec elle toutes les liqueurs similaires).
Il paraît que le lobby des producteurs de vin n’a pas été innocent dans cette affaire …
📸 ABSINTHE PERNOD FILS 68°/à Pontarlier : Chromo (Source: Salorges Enchères Nantes La Baule)
Pernod ou Pernod ?
Pendant ce temps-là, une autre famille Pernod – la Société Pernod Père et Fils fabrique sa propre absinthe près d’Avignon, à Montfavet et fait une fortune.
Après la malheureuse année 1915, la famille Pernod d’Avignon ne perd pas le sens du commerce et met au point une boisson à la base d’anis et d’autres herbes pour contourner la loi. La marque Anis Pernod, née et déposée en 1918 est un vrai succès commercial.
Sauf que la famille Pernod du Jura dépose sa propre marque Anis Pernod Fils ce qui cause une bataille judiciaire entre les deux familles. Mais « tout est bien qui finit bien » – les deux entités Pernod fusionnent 10 ans plus tard pour devenir une grande famille heureuse.
Le jeune Ricard sort le grand jeu
Les familles Pernod ne sont pas les seules à produire les boissons anisées sans absinthe après la loi de 1915. Les distilleries, les bars (et même les particuliers) fabriquent leurs propres anisettes, parfois communément appelées « pastis », ce qui veut dire « mélange » en provençal.
Mais en 1932 un certain Paul Ricard, un jeune Marseillais de 23 ans, vient perturber le bonheur commercial de la grande famille Pernod. Il élabore sa propre recette du pastis, en améliorant les recettes familiales et artisanales qui ont proliféré en Provence.
Sa recette du succès contient de l’anis de fenouil de Provence, de l’anis étoilé de Chine, de la réglisse du Moyen-Orient et des plantes aromatiques de Provence.
Il lance sa marque accompagnée du slogan « Ricard, le vrai pastis de Marseille ». En effet, il est le premier à apposer le mot « pastis » sur une bouteille et de l’associer à une région. Adieu les montagnes, le pastis comme le symbole de l’identité provençale est né.
📸 Publicité Ricard (Source : Ricard via Pinterest)
Et il ne s’arrête pas là. C’est avant tout un génie du marketing et son objectif est de faire tout pour que le mot Ricard supplante le mot pastis.
Sa stratégie repose sur 2 piliers : une image de marque forte et un immense réseau de distribution.
Il dessine lui-même son étiquette et s’implique dans la création des slogans et des affiches commerciales qui deviennent célèbres dans toute la France, grâce aux vastes campagnes d’affichage.
Il crée une série d’objets associés à son pastis, à commencer par le célèbre broc qu’il a dessiné en 1935 et dont la couleur pain brûlé, désormais mythique, est le résultat d’une erreur de cuisson.
Le succès de Ricard est tel que la première année il vend 250 000 bouteilles. À la fin des années 30, en 1939 ce chiffre monte à 3,6 millions de bouteilles.
📸 La réédition du célèbre broc du 1935 (source: Pernod-Ricard)
L’art de la réinvention
La guerre va arrêter net cette flambée de ventes. Le gouvernement de Vichy, jugeant que la défaite a été causée par « la France de l’apéro », va interdire la production et la vente de l’alcool à plus de 16 degrés. Un coup dur pour les producteurs qui vont devoir se réorienter.
Après la guerre, Ricard sort son coup de maître et lance des campagnes de sponsoring des événements populaires, notamment pour Tour de France. Le pastis de Ricard est dans les esprits de tout le monde !
En 1951, à la grande satisfaction des producteurs du pastis, l’État va enfin rétablir la production de l’alcool à 45 degrés. Le vrai pastis est de retour ! En référence à cette année, Pernod lance son Pastis 51.
Le véritable pastis est de retour mais avec lui l’interdiction de l’affichage publicitaire sur les alcools. Par conséquent, les objets promotionnels vont se multiplier : les carafes, les verres, les bobs, les cendriers. Ricard en sera le précurseur.
Les deux géants du pastis vont se chercher pendant des décennies, jusqu’à leur alliance en 1975 et la création de la société Pernod Ricard, aujourd’hui le n°2 mondial dans les spiritueux.
Le pastis n’est pas que provençal
Le pastis, est-il donc né à Marseille ou à Avignon ?
Il est avant tout né de l’interdiction de l’absinthe. Ricard a eu beau être le premier à apposer le mot « pastis » sur une bouteille, selon certaines sources c’est bien l’Anis Pernod (de la famille Pernod d’Avignon) qui est le véritable premier pastis.
Quoi qu’il en soit, l’identité provençale du pastis est tellement forte (merci qui ? merci Ricard) qu’il est difficile de l’associer à une autre région. Et pourtant, aujourd’hui nous voyons de plus en plus de marques qui se sont lancées dans sa fabrication, un peu partout en France:
- en Rhônes Alpes avec la Distillerie de Lyon et son Anis des Gones (élu le meilleur pastis au monde selon World Drink Awards 2022 – de quoi rendre les Marseillais furieux),
- au Pays de la Loire avec la Distillerie du Sonneur et son Pastiche,
- en Normandie avec la Distillerie de la Seine et son Pastis Artisanal,
- et même en Bretagne avec Ty Jaune – le pastis breton, utilisant des sucres marins élaborés à partir d’algues.
Dégustation
Il existe plusieurs façons de déguster le pastis, mais il y a une règle de base, formalisée par Paul Ricard: « Le pastis est le meilleur ami de l’eau. »
La dégustation traditionnelle consiste à mélanger 1 volume de pastis avec 5 volumes d’eau (jusqu’à 7 volumes d’eau pour relever toutes les subtilités aromatiques).
Ce geste provoque également le phénomène de « louchissement », lorsque le pastis prend un aspect laiteux et opaque. Ceci est dû à l’anéthol, la molécule extraite de plusieurs plantes présentes dans le pastis (l’anis vert, le fenouil, la badiane) qui se sépare de la solution au contact avec de l’eau.
Pour varier les plaisirs, il existe également cinq cocktails plus au moins connus à base de pastis:
- la mauresque (avec le sirop d’orgeat) – très répandue à Marseille
- le perroquet (avec le sirop de menthe)
- le soleil (avec le sirop de citron)
- la tomate (avec la grenadine)
- la feuille morte (avec le sirop de menthe et la grenadine)
Les cousins du pastis
Il n’est pas possible de terminer cet article sans parler des cousins du pastis.
En effet, les boissons anisées sont particulièrement appréciées autour de la Méditerranée.
Parmi les cousins du pastis on trouve par exemple l’ouzo grec, le raki turc, l’arak libanais, la mastikha bulgare ou la sambuca italienne. De quoi faire le tour de la famille des anisées lors de vos voyages en Méditerranée.
Voilà maintenant vous êtes incollables sur le pastis !
Peu importe son origine discutable, c’est avant tout une boisson de bons moments, de partage et d’amitié, comme le prouvent les papis en terrasse du Vieux Port de Marseille.
Profitez donc de ces moments mais n’oubliez pas que …
… L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.
Sources :
Le tour du monde en 80 verres (J. Gaubert-Turpin, A. Grant Smith Bianchi) – éd. Marabout
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